Un grand zootechnicien, membre de l'AFZ depuis sa création
Beaucoup de zootechniciens ont dû être très affectés en apprenant la disparition de Jean Boyazoglu, survenue à Menton le 17 mai 2018 à l’âge de 81 ans. Les membres de l’AFZ sont très tristes parce qu’ils ont perdu un membre fondateur et qu’il a toujours soutenu les actions de notre association. Il le disait lui-même, il voulait montrer par là son attachement à notre pays et aux spécialistes zootechniciens qui l’ont formé et auxquels il était très redevable.
En effet, s’il était né en Egypte de parents grecs et s’il avait d’abord étudié la zootechnie en Afrique du Sud, sa vocation pour la génétique animale et pour les petits ruminants s’était concrétisée lors de sa venue en France au début des années 60. Il a été accueilli dans le laboratoire de l’INRA de Jacques Poly et de Bertrand Vissac où il a entrepris les premières études sur ovins laitiers qui seront ensuite poursuivies par Jean-Claude Flamant sur le thème : « l’amélioration génétique des brebis laitières de race Lacaune dans le rayon de Roquefort ».
Pendant sa carrière, il est toujours resté fidèle au secteur qui l’avait passionné au cours de ses études : les petits ruminants, et aux zones géographiques qu’il avait connues dans sa jeunesse : les pays méditerranéens. Il s’en servait comme références ou cas concrets vis à vis des nouveaux domaines qu’il aimait approfondir comme la mise en valeur des territoires, les systèmes de production en zones marginales, la qualité et le marché des produits agricoles, etc.
Il a continué ses recherches sur les petits ruminants à l’Université de Prétoria pour aboutir rapidement à la fonction de directeur de recherches à l’Institut de Recherches sur les productions animales jusqu’en 1973. Alors s’ouvre une période où il cherche à développer ses connaissances sur l’Agriculture africaine et il remplit les fonctions de conseiller pour la recherche et le développement agricoles dans divers pays africains, notamment au Gabon. Puis il devint conseiller agricole à l’ambassade d’Afrique du Sud à Paris et à Los Angeles. En 1986, nous l’avons vu revenir à ses premières passions, les productions animales, en devenant secrétaire général de la FEZ/EAAP à Rome, retrouvant une structure co-fondée par le Professeur Leroy qu’il avait bien connu quand il était étudiant à Paris. Puis il rebondit quelques années plus tard, en 1993 en devenant à la FAO, fonctionnaire principal, coordinateur des réseaux coopératifs européens pour la recherche (ESCORANA) et des réseaux inter-régionaux Europe Proche-Orient. C’est là que beaucoup d’entre nous l’ont connu et ont apprécié ses qualités de meneur d’équipe : volonté, qualité de l’écoute et psychologie. Il a développé et soutenu en particulier le réseau de recherches coopératives sur les petits ruminants en y mettant toute son énergie. Il y a associé le Centre International des Hautes Etudes d’Agriculture Méditerranéenne (CIHEAM) ; ce qui a permis d’élargir nettement les zones d’influence de ce réseau. C’est grâce à lui que Jean-Claude Flamant et moi-même avons été nommés coordinateurs des sous-réseaux Ovins en zone méditerranéenne et Caprins. Dans ce cadre, les contacts entre les chercheurs Nord-Sud ont permis d’obtenir des retombées importantes dans les domaines de la génétique, de la nutrition et des systèmes de production. Enfin en 1997, il retourne à la FEZ en tant que vice-président exécutif. Il fait évoluer cette fédération en tenant compte des récents acquis scientifiques dans le secteur des productions animales et des nouvelles demandes des consommateurs, et il met en place des relations avec plusieurs confédérations étrangères s’intéressant spécifiquement à la zootechnie, en particulier aux Etats-Unis.
Son action dans le domaine caprin mérite d’être décrite pour faire comprendre comment il pouvait faire bouger les lignes, même dans un secteur très traditionnel. Il connaissait bien la situation du secteur caprin dans les années 70-80 : 95% des effectifs dans les pays en développement, les éleveurs de chèvres parmi les plus pauvres dans de nombreux pays, la recherche caprine embryonnaire ou même inexistante dans certains pays excepté dans quelques pays industrialisés et pourtant 4è troupeau au monde par son effectif. Il avait eu aussi connaissance des échecs antérieurs de certaines initiatives internationales. Alors il a organisé des contacts entre plusieurs chercheurs américains qu’il connaissait, certains collègues européens qu’il avait connu en Afrique et ceux qui avaient déjà pris des initiatives dans ce secteur. Après un temps nécessaire pour se connaître et pour se comprendre, tout le monde tombe d’accord pour organiser une grande conférence internationale (ICG) aux Etats-Unis en 1981. Ce fut une belle réussite mettant en lumière le besoin de communiquer des chercheurs travaillant sur caprins à travers le monde. Il fallait donc mettre en place une structure pérenne pour organiser ces conférences et pour diffuser l’information internationale caprine. Ce fut fait en 1982. C’est l’International Goat Association (IGA). Jean Boyazoglu est, bien sûr, membre fondateur et va pendant plus de 20 ans être très actif au sein d’IGA. Il en sera le Président de 1992 à 1996. Il sera le négociateur auprès d’Elsevier pour créer la revue scientifique Small Ruminant Research à laquelle IGA est associée. Il en sera Rédacteur en Chef de 2005 à 2012. Dans cette fonction, il s’efforça de faire connaître les équipes de recherches travaillant sur les petits ruminants. Ceux comme moi qui avons été très proches de lui dans cette tâche, nous avons pu constater sa détermination pour qu’un article intéressant dont les auteurs n’avaient pas l’habitude d’écrire dans les revues scientifiques internationales, puissent être publiés. Il nous fallait retravailler avec les auteurs pour aboutir à un résultat satisfaisant. C’est là que nous avons pu apprécier ses qualités humaines remarquables. Dans ses différentes tâches, il avait l’art de favoriser la démarche de la recherche et la rigueur scientifique d’une part, et d’autre part, d’être toujours à l’écoute du terrain et en particulier d’être sensible aux problèmes humains que posent les acteurs des filières ovines et caprines.
Au cours de sa carrière, il eut de multiples autres activités, notamment dans le domaine scientifique et académique. Il est impossible de toutes les évoquer : Professeur dans huit universités dont celle de Pretoria et l’Université Aristote de Thessalonique. Membre ou président de nombreux comités scientifiques comme au CIHEAM et à l’OIV (Office International de la vigne et du vin) ou encore au conseil pour la Science et la Technologie des Etats-Unis, membres de plus de dix Académies d’Agriculture ou sociétés savantes de par le monde. Il a écrit plus de 250 articles scientifiques dont certains dans des grandes revues internationales.
Enfin sa culture générale nous étonnait toujours car il pouvait parler aisément sur de nombreux sujets où on ne l’attendait pas. Citons quelques uns de ses domaines de prédilection : l’histoire du Proche-Orient (notamment l’Antiquité), la céramique (il était co-auteur du livre référence sur la faïence de Delft), le vin (expert et historien des cépages et des sites de production), etc.
Quand on évoque cette immense carrière et ses nombreuses réussites, on ne peut qu’être admiratif et être très heureux d’avoir participé aux actions qu’il a développées. Alors un seul souhait : que les générations futures de zootechniciens puissent s’inspirer de son exemple.
Merci, Jean
Pierre Morand-Fehr, INRA, Juin 2018